Le baptême :
Alors cet enfant pourra aller décrocher des étoiles. Il faut donc lui offrir un bâton et un élastique et même peut être, un marteau et des clous et des planches et des genoux cagneux et des cheveux crasseux. ...
L' enfance comme on a du mal à y retourner il vaut mieux bien la vivre. En liberté, en simplicité. C'est l'antichambre du bonheur.. Nous, nous avions au moins la liberté inconditionnelle des années 70 où l'on pouvait vaquer sans œil inquisiteur dans les rues alentours, à l'époque où la norme n'avait pas encore imposé son diktat. A l'époque où l'on pouvait à sa guise humer les vents de liberté. Dans les années 90, nos enfants profitèrent de la liberté insulaire où l'espace d'imagination était sans limite sous le regard amusé des corses du village.
A moins, que pour la gêner, nous l’informatisions à outrance cette petite, que nous la collions devant des écrans systématiquement, que nous lui interdisions les doigts dans les pots de confiture, les carlingues déglinguées, les cheveux aux vents et la morve au nez à freiner à vélo en usant ses godasses...
Après tout nous pourrions en faire un robot bien servile, programmé, sans odeur, sans saveur : serviteur. Nous pourrions au zoo d’attraction lui montrer un monde policé, consensuel, programmé, glissant entre deux rassurantes barrières à ne pas sauter, attiré par la sucrosité du machin qui se dandine au bout de l'allée. Nous pourrions avec elle aduler quelques stars de pacotille et y faire perdre le goût de l'envolée... Nous pourrions tout lui offrir pour faire semblant de trop l'aimer sans jamais trop y parvenir. Nous pourrions et nous pourrions et nous pourrions..... Et nous pourrions tout gâcher à vouloir satisfaire nos phantasmes d'enfant si parfait.
Qu'a cela ne tienne nous planterons dans sa caboche des adventices braves gens, nous suivrons nos chemins à l'envers. Nous nous arrimerons à l'espoir d'un décalage, d'un écart de conduite, d'un iconoclasme surgit d'on ne sait où , d'un atavisme douteux, d'une prière païenne. Et ce fut le discours, dont on me chargea le jour de son baptême :
« Comme un symbole d'entrée dans notre famille d'esprit, on te trampouille les pieds dans la fontaine, d'où jaillit une eau si claire, si fluide, si franche, si honnête, par conséquent si opulente pour nous rappeler sous le soleil, que finalement ont revient toujours aux sources. Que la vie, la liberté et la création soit plus forte que tout et, que ton cœur te guide où que tu ailles , quoi que tu fasses. »
C'est avec ces mots que nous l'avons accueillis dans notre clan le jour de son baptême portée au bassin, tremper ses petits pieds, pour une réception civile où nous voulions, comme une genèse, l'esprit haut placé reprendre le pouvoir sur les institutions dépassées depuis longtemps par les événements.
Les parents, consciencieux, avaient préalablement fait tout comme il faut, en conscience, en demandant aux autorités de bien vouloir, sur les fonds baptismaux porter l'enfant mais le curé surbooké leur avait sur un ton, répondu d'une façon autoritaire, péremptoire, ridicule. Les injonctions du prélat ecxitérent les parents furibonds et ils me demandèrent de baptiser à la fontaine ma petite fille devant la famille, les convives réunis.
Au départ, pour un pied de nez, il était prévu que je me grime en moine mais je préférai élever le débat et ne pas créer de polémique supplémentaire . L'idée déjà de reprendre le pouvoir en mon antre me flattait suffisamment sans que j'aille en plus en rajouter, La cérémonie fut simple, bonne enfant et je ne doute pas que le brave Jèsus fut présent dans l'esprit de beaucoup.
Un grade de plus sur nos poitrines gonflés à plein poumons, nos têtes poivre et sel dans les nuages. Nous guidèrent nos invités sous les oliviers où 'ensuivit une garden party de haute tenue et l'enfant naïve, souriante gigotait dans son parc à autant de sollicitude. Une simplicité toute campagnarde et les bouchons sautèrent allégrement et c'est au son des plocs que les gosiers se délièrent pour un après midi de béatitude aigu, de farniente, de rencontres, d'échanges familiaux et amicaux. C'est l'heure où les vieux desserrent les nœuds de cravate, se délestent de la veste, se passent la serviette sur le front alors que les enfants courent encore à tue-tête. On va apprendre des choses !
La chaleur du mois d' août eut vite fait de nous engourdir. Par ci, par là des hamacs tendus, des bottes de paille sous les oliviers, de vieux fauteuils revisités, un peu de gazon pour patienter jusqu' à la fraîcheur relative de la soirée ou tout recommença sous les lampions, sous les guinguettes donnant une aura bohème à l'endroit. C'est le moment où les vins se re-dégustent, sortent de leur torpeur, s'harmonisent et exhaussent la joie d’être là. C'est de la vie au présent. Du temps que l'on arête l'espace d'un instant et les idées éthérées par la finesse des flacons nous revoilà à parler d'avenir, à détricoter le pays pour en faire un éden, à narguer untel, à encenser un autre. Et les rires fusent et se perdent dans la garrigue alentour sans parvenir au village lové derrière la colline. Et la magie passe au regard de quelques rapprochements improbables, de quelques rencontres incongrues.
C'est le baptême. C'est l'avenir que l'on fête dans l'humain. C'est un grade de plus à chacun. C'est un bilan que l'on fait sur soi même. C'est l'espoir d'une continuité. C'est un sourire. C'est la vie dans le sens de la vie un jour lumineux d’août à Cadablès en buvant un peu trop de vin.
Quelques semaines avant ce fut un mariage ; étincelant, vibrant. Sur la route de la vie, bien semé, la joie inonde, essaime dans la continuité et le mas, accroché au volcan enregistre dans sa minéralité les vibrations du quotidien pour le transmettre à qui sait écouter.
Des instants partagés à l'abri des oliviers pour garder en mémoire la venue d'une enfant et se souvenir un jour que nous avons créé sur les pentes du volcan, que nous avons fait un grand rêve, que nous avons fait du vin !