Des mains bienvenues venues d'Allemagne, d'Amérique, de moins loin aussi, d'à côté pour sortir des vignes la récolte 2018. Des mains éclectiques aux doigts larges, aux doigts fins, à la paume généreuse. Des mains entaillées, maculées, immaculées, professionnelles, néophytes, amicales. Des mains tendus. Des mains à l'avant bras solide, des mains aux épaules larges, des mains qui suent, des mains qui savent, des mains qui donnent, qui se tendent au hasard des rencontres, des échanges. Des mains aux coudées franches. Des mains cornées, des plus tendre. Des mains qui pensent, qui ajustent le geste . Des mains qui regardent, qui scrutent dans la pénombre de la cave.
Des mains de qualité pour un 2018 manuel.
C'est toute la magie de l'intelligence manuelle qui ressort durant les vendanges, les vinifications. Le geste simple, précis, essentiel. Guidé par le cœur la main tremble moins et parfois empirique, parfois académique elle fait, elle fabrique le millésime.
Les petites mains si utiles ramassent, trient, portent, lavent. Pour cela nos wwoofers toujours enclin à de nouvelles expériences ont répondus présent et les amis de Cadablès en relais essentiels apportent leur joie, leur énergie et des rencontres internationales naissent autour de la table un verre à la main. C'est surtout ça les vendanges, une histoire d'humain, une histoire de main.
Notre équipe de l'année en possédait une bonne douzaine et celle des amis, des copains s'y joignirent sous le fier soleil de septembre pour couper les raisins, les rentrer, les encuver, les égrapper. Il n'y a jamais de mains en trop. Parfois au hasard d'une vigne gronde au loin une monstrueuse machine à vendanger sans main, sans bras, à la cervelle électronique sentinelle d'une viticulture moderne qui a exclu en partie la main, qui a exclu les colles du paysage.
A la vigne, épargnées par ce foutu mildiou les baies restantes ont profité de belles conditions pour s'exprimer et les premiers jus prometteurs s'affinent en cave guidés par des mains plus expertes. Demi récolte sauvé des affres du printemps sans pour autant inonder de bouillie nos feuillages, en restant dans la modération de la culture bio. Ce qui est perdu est perdu et le reste des grappes, saines, très saines nous donnent matière à vinifier dans des conditions optimales grâce à un climat opportun durant ce septembre estival où le ciel se croyait encore en été et poussa nos mains sur nos têtes à réajuster nos chapeaux dégoulinant de sueur.
Même en demi récolte le travail n'est pas moindre. Les vendangeurs cueillent en colle, chantent parfois en cœur quand le raisin est abondant, quand la chaleur décroit, quand les vendanges finissent.
Efforts froissant les dos, maculant les mains d'un rouge lie de vin parfois entaillées par un sécateur trop vif.
Joyeuses conversations les matins frais, mutisme monacal les après-midi chauds pour peu que l'on ait bu au repas du midi. La verve reviendra bien plus tard lorsque les dos vrillés par l'effort constant se déplieront, lorsque le soleil descendra dans le ciel pour saluer la colle suante, collante, éreinté.
La définition officielle : groupe de vendangeurs de 8 coupeurs, 2 hommes transporteurs de comportes, 1 homme presseur de raisin dans la comporte, 1 videur de seaux. A Cadablès on ne presse plus dans la comporte car il faut garder intactes les baies pour plus de qualité.
La récolte achevée le traditionnel repas : " la soulenque" est l'occasion d'agapes, de rencontres, de joies, d’au revoir, de chants, de guitare, Une manière toute languedocienne de saluer l'an qui finit et parler de l'an qui vient, Le roi est mort, vive le roi.
La soulenque, encore une occasion de goûter les millésimes passés, toujours en magnum, question praticité.
Repas toujours gargantuesque : la peur de manquer, opulence rurale et remerciements inconditionnels pour une soirée où l'esprit éthéré par d'élégantes vapeurs nous utopisons un monde bio, équilibré, humain, sensible.
C'est assez simple à la main. C'est traditionnel, presque un peu réac. C'est amical et l'on cultive l'authentique en " polyglotant". Les gens se rencontrent, se parlent, sympathisent, fraternisent. On rient beaucoup surtout, à gorges déployées, ont part aussi parfois sur des sujets plus sérieux où chacun apporte sa pierre à l'édifice, son avis, sa culture, sa différence, sa contradiction.
A vrai dire, un peu dépité au départ, nous pensions ne pas avoir la main sur la récolte tant étaient éparses les grappes et c'est la tête enfouie dans les souches, aidés par des mains rassurantes, que nous découvrîmes que la baisse, bien qu'importante, était moindre que l'avaient estimé nos regards noircis par le coup historique de mildiou.
Chaque année apporte son lot de désillusion et d'illusion. La main dans le chapeau les astres tous les ans nous resservent autant de surprise pour nous apprendre à lâcher prise, à se dire que ce métier a peut être une fin, à rester humble, que l'on a rien sans rien et nous rappeler que l'on s'est engagé dans une merveilleuse aventure pour le meilleur et le moins bon.
Il est l'heure, fin septembre, de se retrancher dans sa cave pour peaufiner les vins, les terminer, les goûter, les analyser, les laisser mûrir, ceci avant l' année d'élevage nécessaire à la qualité. Les mains vont devoir encore agir et réagir et puis, pour boucler la boucle, in fine, on sait déjà, que le buveur final, n'aura plus qu'à mettre, après tout ces efforts consentis, la main à la poche.