28 octobre 2022
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Je ne suis pas dupe. Tout n'est pas dû, tout ne nous est pas dû.
Mais enfin !
Quand je vois les jours s'ajouter aux jours et le temps défiler, le temps s'enfuir et que chaque journée éreintés, de longues heures à transporter, à charger, à planter, à biner, à prévoir, à gérer, que sais-je ? Je trouve insupportable le manque de réciprocité de nos sociétés envers l'engeance paysanne. Peut être deviens-je paranoïaque à ne regarder que dans un axe ? Le paysan, l'exploitant, l'exploité, tel qu'il fût, tel qu'il est, sur un tracteur à cent mille, aux culs de ses vaches, à sarcler en bio, à s'époumoner en raisonné, à s'échiner en conventionnel. Le paysan en bas de l'échelle de nos sociétés boulimiques de progrès , ne reçoit-il pas en dégringolade l'inconsideration tombée du dessus des barreaux.
Nos sociétés de consommation si flattées qu'elles se prirent pour dieu à tel point de négliger leurs devoirs envers leurs nourrisseurs. Leur devoir envers un passé où les paysans ont créé sans moyens en décidant de mettre en avant la nature qui vrombissait au fond d'eux mêmes, oubliant leurs égoïsmes, ouvrant leurs portes aux quatre vents, prenant les risques de la faillite économique à tous les tournants de la route sinueuse qu'ils avaient alors empruntée.
Notre histoire rurale est jonchée de patrimoine vivant, de subtilités, de qualités et d'inventions séculaires qui forgent notre spécificité. Chacun de nos terroirs vendus de nos jours à la foire à l'encan où les marchands du temple s'en donnent à cœur joie sans empathie envers les nourrisseurs.
C'est important un nourrisseur ! le paysan demeure la dernière roue de la charrette épongé par le sacro-saint marché pourvoyeur de marges pour ceux qui ont pris le pouvoir économique à grand renfort de subtilités publicitaires. En poussant le caddie , la ménagère remplit plus les poches du distributeur - qui s'appuie sur le monde idéalisé et photoshopé du terroir - que celle du bouseux. Se servir sans vergogne et sans législation d'une image sculptée à grand coup de sueur, de génération en génération , devient le comble du sans gêne, du cynisme dévergondé. Allez messieurs, ont le sait bien que nos régions ont du talent, que nos terroirs que vous arpentez en laissant vos costumes cravates aux vestiaires de la manipulation vous intéressent car ils rassurent le quidam qu'il vous faut éponger discrètement. Dans le fond je m'exclus un peu de ces propos car nous ici avons pris des chemins détournés afin de pérenniser notre ouvrage, en tout cas de nager le moins possible dans l'aquarium de ces désillusions. Ce fût embroussaillé, chronophage et anxiogène. Le vin par sa résonance culturelle a un statut particulier, presque aristocratique et plus prosaïquement se conserve et s'embellit en cuve alors que le lait, la viande, les poissons, les légumes se répandent instamment en putréfaction ...
Par ci, par là certains courants contraires émergent suivis par une foule de consommateurs, de professionnels consciencieux et engagés , alors que d'autres nous font croire en leurs vertus en tartinant de vert les bidons de glyphosate pour les rendre moins voyants. Le local, le bio reprennent -soutenus par ce courant- du poil de la bête et les utopistes d'hier sont en passe de devenir les bienfaiteurs de demain. Des courants contraires essaient aussi de les ridiculiser, les discréditer mais le covid a fait changer un temps les ploucs de camp.
Et dès que l'on prend les routes - ce qui est souvent notre cas - pour aller prêcher une agriculture biologique et durable à la rencontre des gens, on en croise de tout poil. Des très férus , l'oreille attentive, l’œil pétillant et des qui surfent sur la vague le sourire carnassier et l'arrière pensée mercantile. A nous de trier les bons grains de l'ivraie dès lors que l'on change de casquette pour devenir le représentant de sa propre production où parfois pataud, devant des beaux messieurs à la contenance réfléchie, certains se laisseraient déborder par leur propre émotion en se recroquevillant pour accepter l’inacceptable.
Le paysan bio et local en général revient à la mode dans nos sociétés en manque de respiration. C'est une belle et bonne chose mais le problème bien plus global devrait atteindre les consciences et les actions de nos décisionnaires pour qu'ils dévissent leur calculette cérébrale de rentabilité immédiate et deviennent un minimum empathiques faute de devenir charismatiques.
Car le producteur n'est pas seulement le marchand de sa production, c'est factuel. Evidemment !
A l'origine, notre rôle de paysan bio ou pas d'ailleurs, est de produire en préservant la biodiversité de nos sols, de nos environnements. Laisser le minimum d'emprunte tout en produisant et en nourrissant une société qui ne le rend pas forcément en préservant la pérennité de l'ouvrage. Mais c'est qu'il faut bien se nourrir braves gens et chez certains, et chez beaucoup répondre à ce besoin est devenu un budget. Un budget limité au plus simple appareil pour laisser une plus grande place à la mégalomanie téléphonique, aux vêtements ostentatoires, aux autos rutilentes ou aux loisirs mondialisés. On ne mange plus, on se nourrit et ceci sans recul sur la qualité de ce que nous ingurgitons, sans recul sur notre interdépendance à la sève de la vie, sans réflexion sur notre immunité, comme un réservoir que nous remplierions sans s'inquiéter de l'usure des bielles et des roulements.
Au delà de la qualité intrinsèque de l'aliment produit le paysan se doit à l'entretien de la biodiversité, de la géographie du paysage, de la topologie de son espace. Le paysan ? Mais combien en reste t-il au fond, perdus dans la masse des exploitants agricoles gérant leurs terres comme des business-men , leurs rapports à la société comme des politiques et leurs subventions comme des placements. Smicards désespérés d'un système, esclaves de leur passion originelle ils entretiennent pour la plupart un paradigme qui les a longtemps flatté mais qui désormais les broient, les usent, les asservirent parfois jusqu'à la mort. Et comment demander à ces hommes, ces femmes d'enchaîner un effort supplémentaire avec les promesses factices d'un marché toujours à la baisse ne les considérant plus. Le marché est devenu l'addition des inconsciences, des vouloirs, des avarices, des cupidités de ces acteurs usant de stratagèmes machiavéliques pour arriver à assouvir leurs avidités et écraser les autres. Sur cet espace plus d'harmonie !
La fin inéluctable de la surconsommation fera peut-être boomerang en rapprochant les uns, les autres et la ruralité sentinelle des changements climatiques devra s'adapter aux défis sans pour autant perdre son âme, sans oublier sa vocation.
Le monde paysan capable d'abnégation, de générosité a la résilience usée aux promesses non tenues d'une société qui le relègue, malgré les bienveillances de façade, à la portion congrue alors qu'il a tant à nous donner. Pour peu que quelques "écolos-bobos-démagos-politicos-urbanos-climatos-lobos-latêteàtoto" lui prenne ses ancestraux loisirs, ses us, sa façon d’être, ses traditions, son âme pour s'en faire un porte-voix électoral et mercantile et laisser choir cette culture immatérielle aux oubliettes, la messe sera dite...
Faites vivre vos paysans, ils vous le rendront au centuple car leurs racines vous donneront des ailes.
Published by cadables