Lorsque les soirées se prolongent à Cadablès ( en ce moment près de la cheminée ) qu'irrigués du fruit de notre travail nos cœurs s'assoupissent, entre amis nous relatons parfois le temps où nous étions potiers en Corse du Sud. L’époque qui précéda le vin et les questions fusent : pourquoi en sommes nous revenus ?
Alors nous racontons, nous déblatérons, nous passons par le menu les raisons et les circonstances de notre radical changement en racontant la vie d'avant, celle de Corse. Et tout naturellement, voyant les yeux écarquillés de nos copains sous le charme de nos accents toniques, je me suis senti tenu de le raconter sur le blog. C'est une aventure de gens ordinaires dans le fond.
En voici le premier mouvement. O corse Île d'amour : les potiers de Portigliolo.
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A cette époque nous passions des jours heureux sur la rive sud du golfe d'Ajaccio avec nos quatre mioches.
Aimantés quelques années plus tôt par le charme enjôleur de la belle, par ses hivers recroquevillés, par ses étés lumineux, par son esprit insoumis, par son calme protecteur. Tout un tas de chose que l'on ne maîtrise pas forcément et que l'on ne cherche d'ailleurs pas à contrôler. Nos esprits d'artistes avaient à l'époque soif d'idéaux, de renouveau et nous avons quitté dans une juvénile inconscience (qui ne nous a jamais fait défaut) l'arrière pays Biterrois pour nous exiler sur les côtes corses afin d'y pratiquer l'honorable profession de potier céramiste. Et ainsi, à force d'audace, à force d'espoir, à force de travail nous sommes devenus les indétrônables et incontournables '' potiers de Portigliolo'' (20138 Coti Chiavari). Avec nos trois petits, et l'achat d'une maison soufflée dix ans auparavant lors d'une nuit aux reflets bleutés. Cette maison froissée nous l' avons réhabilitée pour lui donner une seconde jeunesse et y créer de la vie. Fallait oser !
A ce propos on ne sais jamais comment naît un projet, au tout début, à la genèse, même presque avant qu'il n'éclose. On ne se pose que longtemps après la question. Mais pourquoi, mais comment ai je pu avoir cette idée, quelle force m'a poussé à franchir, à re franchir, à m’affranchir. Sans aller pour autant chercher dans les tréfonds de la petite enfance, on se souvient rarement quel fut l'élément déclencheur.
Comme dix ans après nous avions la vague impression d'avoir fait le tour de l'île, d'avoir aimé plus que de raison ce petit monde iconoclaste et insoumis, naquit l'idée doucement, insidieusement de re franchir la mer pour aller faire du vin dans nos contrées d'origine après une belle et initiatique expérience sur l'île fière. Comme une envie, presque une lubie alors que le succès auréolait nos mains maculées d'argile, nous décidâmes en toute conscience, sans y être invités instamment, de retourner de notre propre chef entreprendre une nouvelle vie à la campagne sur le continent. Des amis ont bien tenté de nous garder la bas, en insistant avec ce charme qui ne donne pas l'air, tout en chantant les paroles, mais nous avons tenu bon, nous n'avons pas replongé à l'écoute des ritournelles ajacciennes.
Mais ce projet, cette aventure - car ça allait en être une - est bien né dans nos têtes poussé par un hasard farceur. Je me souviens très bien comment cela naquit, je me souviens très bien du déroulement presque inconscient. La folie qui nous prit, l'emballement qui s’enchaîna dans une joie désordonnée poussés au fond par une insoutenable envie de créer, l'écrin insulaire devenu trop étroit.
Cela a commencé par un rêve, une vision !
Faut dire qu'à cette époque nous pratiquions déjà le bonheur d'une manière assez intense en famille à deux pas de la plage. La poterie de protigliolo était déjà connue, reconnue et presque institutionnalisée - étape qui viendra après notre départ - et notre atelier ne désemplissait pas. On y discutait de tout, parfois de l'essentiel et toute la bonne société du secteur ne pouvait manquer, entre deux lacets, l'atelier des potiers devenu au fil du temps un incontournable de la rive sud du golfe d'Ajaccio dans les années 90.
Les matins d’été offraient aux lève-tôt, des aurores incroyables, la relative fraîcheur de la nuit s'estompant en quelques vapeurs irisant à peine la méditerranée. Des oiseaux, un bateau croisant entre la côte et les sanguinaires. Sur ma terrasse un café fumant à coté, le regard aspiré par le lointain, un carnet à la main, je tente de dessiner la pièce en céramique dont j'ai eu la vision au réveil. Depuis quelque temps le succès aidant nous avons envie de passer à autre chose, de faire évoluer notre céramique créative, toujours en ébullition d'une nouvelle idée. Et puis ce matin mon rituel - levé au aurore, café, paysage, respiration, émotion, natation, re café, potager, douche et travail - est tout chamboulé, tout remis en question par cette vision de fin de nuit en céramique. Même la tour génoise à deux pas sur l'horizon n'arrive pas à me faire décrocher de mon calepin aspiré par l' interprétation physique de mon rêve.
Au levé, il y a moins d'une heure, j'ai vu un objet, comme je vous vois à travers ma travers ma plume, assez nettement. Un objet en céramique, de forme tronconique, percé de trois trous en son sommet et dans lequel rentraient des guêpes pour ne pas ressortir. Un piège à guêpe. Je le dessine, bof !
Le jour avançant me sort des nimbes doucement, je reprends mon rituel et en remontant de la plage j’égare mon croquis sur un coin de table à l'atelier car la raison qui chasse l'irrationnel à repris le dessus. Je fais une honorable journée de travail entre clients, émaillage et lorsque je remonte sur le tour mon regard oscille vers le crobard et mes mains expertes réalisent assez facilement l'objet qui n'a rien de compliqué à mettre en œuvre.
C'est un cône en terre percé de trois trois sis sur une coupelle issu d'une vision dans un demi sommeil qui sèche sur l’étagère d'un potier de bord de mer.
Et les jours passent et les footballeurs français entraîne le pays vers un délire collectif et le piège sèche et nous le cuisons et nous l’émaillons et nous l'essayons.
O miracle sans nom, en y introduisant une peau de poulet et de l'eau, sous l'assiette coiffée du cône, on voit les guêpes se précipiter par les opercules et ne pas ressortir pour se noyer, tout bonnement repus de matière carnée , tout bêtement. C'est à la fois efficace, écologique et déco.
Les copains attablés ce jour là à qui j'avais parlé de l'invention - car entre temps s'en était devenu une dans ma caboche - s’étant d'abord moqué de mon talent de Géo trouve tout, restèrent médusés devant une telle démonstration qui d'ailleurs ne se reproduisit plus jamais avec autant d'efficacité . La chance du débutant qui sourit aux ambitieux et aux rêveurs pour les encourager à commencer un combat. Et à la suite du repas, ému par cette expérience concluante, je déclare tout de go :
" cette invention est magnifique par conséquent nous allons déposer un brevet ".
Et nous l'avons fait, enfin, nous l'avons fait faire à une société Parisienne. C'est moins risqué !
Entre le maquis et la société de Paris il y a un monde, il y a les relations, le passage, le public et de fil en aiguille lors de discussion à bâton rompus dans notre ''atelier moulin'' de céramique nous avons mis la main sur l'ami, d'un ami, d'un ami qui connaissait dans le milieu parisien de la créativité une entreprise susceptible de....
C'est ainsi appuyés d'un bon coup de chance que nous partirons quelques mois plus tard à la conquête de la capitale notre invention dans un sac à dos pour embarquer du bien nommé aéroport d'Ajaccio Campo d'ell Oro.
Des amis bienveillants nous récupérèrent au sortir de l'escalator d'Orly de peur que nous nous égarâmes dans l'aérogare et nous voilà partis à la conquête de Paris sans complet bleue, la fleur au fusil, l'invention dans le dos. La tour Eiffel, le lendemain nous saluait fièrement arborant un 2000 clignotant soulignant le deuil du siècle dernier.
De stations en avenues Haussmannienne, d’arrondissements en quartiers nous arrivons un peu tendus à notre rendez vous et en deux tours de charme, en affichant une assurance un peu patraque, un charme provincial indéniable, une énergie à tout rompre, un sens des affaires relatif, un étonnement exagéré, une empathie démagogique hors du commun que nous finissons invités dans le troqué du coin pour raconter nos aventures îliennes, nos rêvent, nos créations, nos ambitions à un patron d'entreprise innovante ayant pignon sur rue à deux pas du palais Brognart.
L'affaire est bien parti et quelques mois plus tard un brevet d'invention est déposé, une production dans les Carpates lancée et un contrat de royalties signé avec une ambition planétaire pour la commercialisation de l'objet.
Tout cela sans verser un centime ! La Corse en nous poussait alors toute son énergie et notre force de conviction n'avait d'égal que notre envie de réussir et aucune barrière alors, n'eut pu être in-franchis dans nos têtes ensoleillés par l’énergie de nos ambitions et le naturel de nos postures.
Nous voilà donc ma belle et moi potiers-ceramistes-inventeurs-créateurs ! Quel succès à peine que déjà nous dépensons mentalement les liasses qu’indubitablement nous allons gagner et faute de château en Espagne c'est en Languedoc que nous portons notre dévolu en lançant le projet, sans encore un sous en poche, de racheter un château du coté de Saint Chinian (34). Un château et un vignoble, évidemment !
Et l'aventure commença, accroché au moindre appel, nous retrouvant dans des revues plus ou moins à la mode, entendant parler de nous à la radio et voyant , tout excités notre piège à guêpe vendu sur tf 1 au téléachat. Auréolé de toute ces promesses, un peu saoulés de toutes ces perspectives nous vendions plus que bien notre piège à guêpe à notre clientèle locale trop heureuse de notre célébrité naissante. La société Parisienne faisait produire nos designs en Roumanie et les commercialisait à droite à gauche à travers un réseau de magasins pour ustensiles de cuisine novateur.
Le projet avançait et il fallait en vendre beaucoup afin que nous touchions une somme substantielle pour assouvir nos phantasmes châtelain. La balle n'était plus dans notre camp lorsque l'été suivant fut un été sans guêpes !
Entre temps poussés par ma chère et tendre qui avait découvert en Languedoc une demeure casi coloniale, en partie en ruine, surnommé pompeusement '' Chateau des albières '' nous nous lançâmes dans l'acquisition de celui-ci sans pour autant, en tout cas pour moi, avoir visité les lieux.
Assez surréaliste, sur les photos, cette bâtisse néocolonialiste fut construite quelques cent ans plus tôt par la famille d'un influent homme politique national perché il n'y a pas si longtemps place du Palais Bourbon.... Vendu peu cher par le conseil General de L’Hérault qu'il fallait convaincre de notre bonne foi, de notre capacité à faire avancer un projet. Mais ceci est une autre histoire, un autre bout du puzzle qui nous mena à Cadablès.
La pénurie de guêpe ralentit le projet qui avait du mal à décoller véritablement par ailleurs car le mode de commercialisation via des boutiques de cuisine ne correspondait, selon le langage idoine, pas exactement à la cible consommateur et se retourner vers les magasins de jardinage pourrait éventuellement être une solution afin de mieux atteindre la cible visée. Mais cela prends du temps !
Et la vie continua au bord de la cote à projeter d'abord d'agrandir notre maison car un bébé pointait son nez et l'invention devint alors le cadet de nos soucis alors que l'histoire du château prenait forme dans nos esprits de funambules.
Un pas après l'autre ! Les grands projet avancent doucement guidés par les remous, les hasards, les rêves, les inventions et les châteaux et d'y croire rends parfois les choses possible mais l'on ne sait jamais par quelle arcane on devra se faufiler.
Et après l'été, vint l'hiver et au printemps suivant trop occupés à nos marmots, à nos pots, à notre futur château, à nos amis, à nos passions on s’aperçut que les revenus de l'invention serait plus modeste que prévu. Bien plus modeste !
Qu'a cela ne tienne, nous étions inventeurs, nous avions mené notre projet à bout alors même que les copains riaient à gorges déployés à l'annonce de notre ambition.
La réussite relative de la commercialisation de l'objet ne nous appartenait pas et nous ne pouvions qu'influer humblement sur le résultat.
Retenir le positif de toute chose, analyser tant que faire ce peu les aléas et avancer coûte que coûte. Adieu château en Espagne ! Nous voulons faire du vin ? Alors en avant : on vends tout, on change de vie et le destin nous sourira, enfin, on espère !
Et voici comment nous nous sommes lancés à corps perdu dans la conquête du château des Albiéres après le semi échec de notre fabuleuse invention. Après le premier pas vient le second et ensuite l’énergie vitale porte, chausse les bottes de sept lieux qu'il nous fallut pour aller vers le vin . Nous venions d'apprendre que l'impossible était en cours à travers ce beau projet en poterie.
Premier épisode d'une chevauchée de gens ordinaires, chez qui la raison est moins probante que l'intuition, avec des rêves plein la tête, prêt à ré embarquer vers une aventure vinique pour le moins incertaine. On est pas sérieux quand on a 40 ans, d'autant que nous ne les avions encore pas et c'est avec nos quatre enfants que nous voulions passer le Rubicon. Nous allions encore devoir patienter quelques temps, mais dans le fond le temps n'est rien. Seul le bonheur d'exister compte.