Le métier de vigneron ouvre à la rencontre. La solitude de la vigne équilibrée par des dizaines de rencontres lors de nos dégustations au domaine, lors de nos déplacements où nous veillons à distiller la bonne parole par monts, par vaux afin de promouvoir notre travail, nos vins, notre aventure...
C'est incroyable le nombre de personnes que nous croisons souvent subrepticement, superficiellement pour expliquer un cépage, une façon de faire, pour se présenter. Des grands, des petits, des joufflus, des carrés, des ronds aussi, des souples, des qui savent-tout, des qui ignorent pas mal, des curieux, des imbus, des teigneux aussi mais essentiellement des bienveillants, des épicuriens, des marrants, des joyeux, des pour qui l'on fait du vin afin qu'ils y prennent du plaisir.
Parfois nous allons plus avant. Nous lions connaissance, nous sympathisons et des amitiés naissent autour d'un verre, car le levé de coude est propice à l'amitié. Et nous échangeons, nous déblatérons, nous reconstruisons le monde à l'ombre du micocoulier.
J'ai rencontré André après avoir connu ses enfants. André est plus âgé puisque ses enfants ont mon age. André a quitté le village pour ses études puis a migré plus au nord pour professer les mathématiques mais a toujours gardé le souvenir ému d'une enfance à la campagne, à Fouzilhon petit village sis à deux pas de Cadablès.
Lorsque je le croise il me parle du temps jadis, des chevaux, de l'ambiance, de l'épicier et tutti quanti des trémolos dans le voix.
Comme André est loin d’être inculte, comme André est sensible, comme André a un regard je lui ai proposé d'écrire ce temps là, ce temps passé où le village vrombissait d'une vie plus intense, peut-être plus sage, en tout cas plus rurale, paysanne, authentique. Je lui ai proposé d'écrire son univers du temps où, haut comme trois pommes il gambadait dans les venelles en circulade, et il s'y est affairé, à trempé sa plume dans ses souvenirs et m'a donné trois textes que je vous livre.
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Fouzilhon, village Languedocien dans les années 50.
Les commerces et les transports
Dans le village il y avait alors une épicerie. On pouvait y trouver les denrées les plus courantes. Dans la semaine passaient régulièrement, un boulanger, un boucher, un charcutier et un marchand de moules. L'arrivée de ces marchands ambulants était annoncée par le garde champêtre. Le vendredi passait un car qui transportait les gens jusqu'à Béziers. Il était aussi possible de se rendre à pieds à Magalas pour compléter les provisions. Les réfrigérateurs n'existaient pas et les denrées se conservaient dans un garde manger sorte de petite boîte au devant grillagé.Il n'était pas possible de conserver longtemps les aliments.
L'entraide en ces temps était nécessaire.
On se déplaçait le plus souvent à pieds dans le village. Les propriétaires de voitures étaient peu nombreux. Il y avait des voitures tirées par des chevaux. Pour le travail des vignes, le cheval était l'animal à tout faire. Il labourait , tractait les charges lourdes et les comportes de raisins.
Pour l'acheminement du courrier un facteur se déplaçait chaque jour à bicyclette de Magalas à Fouzilhon été comme hiver . Cela faisait 10 Kms aller retour par tous les temps.
Le garde champêtre
Il avait des fonctions importantes et multiples dans le village. Il s'occupait de l'entretien des routes et des chemins de terre. Pour cela, il ne disposait que des outils de l'époque (faux,pioche..).
Il veillait à la propreté du village ce qui était mission impossible en l'absence de ramassage organisé des déchets.Il effectuait divers travaux de maçonnerie et d'entretien des locaux communaux. Il assurait l'information en passant dans les rues du village et en criant « avis à la population »
L'ouvrier agricole
Souvent d'origine espagnole il travaillait dur tant à la vigne qu'à la cave ou au jardin du propriétaire.
A la vigne, il faisait les déchaux (tour des souches à la pioche) , la taille , les labours avec le cheval, le sulfatage des vignes au printemps contre le mildiou (ceci avec une sulfateuse à main qu'il fallait remplir avec l'eau des puits de vigne) le passage du soufre par temps calme sur chaque souche contre l’oïdium.
Il avait souvent en charge une partie de la vinification. Au moment des vendanges il s'occupait du ramassage des raisins, du transport de ceux-ci jusqu'à la cave et du travail de la cave.L'entretien du cheval (nourriture , soin ..) était aussi à sa charge.
Les vendanges, les vendangeurs
A l'époque les vendanges se font à la main. Quelques jours avant les vendanges arrivent d'Espagne des familles de vendangeurs. Le propriétaire doit les loger . Ce sont eux qui vont constituer la colle de 10 à 12 personnes qui pendant tout un mois va rentrer la récolte (Ceci pour les gros propriétaires). Le petit propriétaire lui va rentrer sa récolte en famille.
La journée de vendangeur commence tôt le matin vers les 7 heures environ. Chacun arrive avec son cruchon rempli d'eau et son casse croûte. On part à la vigne vers les 8 heures. Le trajet parfois long se fait soit à pieds ou soit pour les plus favorisés, assis sur l’arrière de la charrette. La colle comprend, les coupeurs de raisin avec leur seau, le tireur de seau qui transporte les raisins jusqu'aux comportes, le quicheur qui avec un outil en bois tasse le raisin, les tireurs de comportes qui avec deux barres de bois lèvent la comporte par ses poignets et la transporte jusqu'à la charrette et enfin le charretier qui lorsque la charrette est pleine transporte le raisin jusqu'à la cave.
Vers 9 heures du matin on s’arrête pour déjeuner en général avec du pain, du fromage et un raisin cueilli dans la vigne. Avec la chaleur le travail devient vite pénible. Heureusement certains racontent des histoires d'autres chantent. On s'amuse à barbouiller le visage du voisin avec des raisins (faire la moustache). Puis vient le repas de midi puis l’après midi se poursuit.
Le travail de la cave se fait le soir après la journée . Le raisin que l'on a déposé dans les cuves va fermenter. Le mou sera ensuite extrait de la cuve et transvasé dans une autre. La cuve qui ne contient plus que le marc de raisin sera ensuite vidée dans le pressoir . Le pressoir dans notre cave était à roue. On faisait tourner la roue qui cognait sur une vis . A chaque choc le raisin était pressé. On recueillait le jus dans un champeau (sorte de cuve en ciment). Le marc sec était sorti du pressoir et vendu à la distillerie.Ce travail de cave venait compléter celui de la journée. Si l'on avait encore un peu de force on allait danser. Le bal des vendanges à l'extérieur ou dans une cave se vivait comme un moment de détente après une dure journée.
Suivant l'époque des vendanges, surtout si elles étaient tardives, le temps se mettait à la pluie (le marin). Il fallait alors travailler dans des vignes gorgées d'eau. On ne pouvait pas laisser la récolte qui risquait de pourrir sur les souches. Les tireurs de comportes s'enfonçaient dans la boue et les charrettes s'embourbaient dans les chemins de terre. Le moral était au plus bas et l'on surveillait de prés la couleur du temps.
La vie du village en 1950
Aussi loin que remontent mes souvenirs, Fouzilhon a toujours occupé une place importante dans la vie de la famille.
En 1950 Fouzilhon ne ressemblait pas à ce qu'il est devenu aujourd’hui. Tout d'abord, il faut enlever du paysage les voitures. Lorsque l'on traversait le village, on rencontrait seulement des charrettes tirées par de gros chevaux de labours. En effet il n'y avait pas de tracteurs pour labourer les vignes. Il y avait aussi des chiens, non pas des chiens de garde, mais de bons vieux toutous qu'il fallait presque déplacer à la main . Ces gros pépères passaient la plus grande partie de la journée à dormir. Les routes n'étaient pas goudronnées et, par temps d'orage, elles devenaient de vrais bourbiers.
L'eau occupait une place importante dans la vie du village. Elle était rare et ceux qui possédaient un puits étaient des privilégiés. Les coupures d'eau l'été étaient nombreuses et notre maison avait une réserve d'eau que l'on activait en cas de coupure. De plus cette eau était de mauvaise qualité et peu agréable à boire. On envoyait les gamins au pont, tout à côté de la mairie, chercher de l'eau potable. Il y avait une pompe que l'on actionnait à l'aide d'une roue. Le petit cruchon rempli, on revenait à la maison. Pour les puits, ils se trouvaient le plus souvent dans la campagne. A côté du puits, on cultivait le jardin. Il n'y avait pas de pompe mais une poulie avec une chaîne et un récipient que l'on remontait une fois plein.Ces puits, parfois de 10 mètres de profondeur, étaient à ciel ouvert, construits en pierre sèche, et se remplissaient à l'occasion des orages. En été ils étaient pratiquement à sec.
Les WC n'existaient pas. On avait des seaux hygiéniques pour la nuit qu'il fallait vider le matin .Dans la journée on allait dans le jardin ou dans la campagne. Pour les ordures ménagéres, c'était le système D. A côté de chaque maison il y avait un tas . Heureusement le plastique n'existait pas ni les emballages multiples. Le problème venait des boîtes de conserve en métal (en général de l'aluminium). Une boîte jetée dans la partie haute du village mettait parfois plusieurs années pour atteindre le bas du village. L'odeur, l'été, était souvent féroce.
La vie du village suivait le cycle de la vigne. Le temps fort étant celui des vendanges. Chaque gros propriétaire employait plusieurs ouvriers agricoles souvent d'origine espagnole, possédait plusieurs chevaux, avait une cave bien équipée et une écurie. La vigne produisait un vin de mauvaise qualité qui se vendait pourtant bien. Dans le village tout le monde se connaissait et les soirées se passaient souvent en compagnie de quelques voisins. L'été les chaises sortaient devant la porte des maisons et les femmes se racontaient les derniers potins du village. Les hommes jouaient aux boules, non pas à la pétanque, mais à la lyonnaise (grosses boules et terrain tracé).
Les enfants n'avaient pratiquement pas de jouets mais en confectionnaient. Par exemple, avec du fil de fer on faisait des chevaux, avec une boîte de conserve un fut de vin. Avec des billes de toutes les couleurs on jouait au tour de France. Mais le bien le plus précieux était la liberté . Le danger était limité tant dans la campagne que sur la route et les parents nous laissaient faire des promenades . C'était alors la recherche des asperges et des champignons. Après la pluie, on allait aux escargots. Moi, avec mon ami Loulou, je parcourais la campagne à longueur de journée. Il me montrait les espèces de champignons comestibles et je lui faisais découvrir les pierres .
La petite école à côté de la mairie était dirigée par Monsieur Vergne un instituteur dévoué et compétant .Il gérait une classe unique de 25 élèves allant du CP au certificat d'études. L'école se situait à l’arrière de la mairie . Il y avait une seule salle de classe et une toute petite cour de récréation.
André Viala.
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Le temps est passé et désormais une autre ambiance auréole le village. Village à part, Fouzilhon a su malgré tout rester un peu à l’écart du développement outrancier, a su garder un savant équilibre en se méfiant des sirènes du siècle, en ouvrant ses bras pas plus qu'il n'est nécessaire. Singularité évidente dans un monde rouleau compresseur où l'éclectisme ici, est de mise.
Fouzilhon : son église, sa mairie, son théâtre, ses statues, sa circulade, sa convivialité, ses ragots, ses tronches singulières, sa population autochtone, sa population venus d'horizons divers comme autant de balises posés sur les premiers contreforts des Avants Monts, comme un pont entre un passé récent et un avenir harmonieux qui se conjuguera j’espère, un jour ou l'autre en bio absolu par révérence au temps passé.
Fouzilhon à deux pas de Cadablès, un poste frontière, un sas de décompression.
Merci André de votre amitié, de vos mots.