La chaleur accablante de juin pousse véritablement au calme les après-midi caniculaires. Rien ne sert de s’exciter si ce n'est qu' à s’épuiser. La torpeur de la sieste où pour se délasser il vaut mieux repousser les pensées travailleuses et les soucis inhérents. La torpeur fait naître parfois dans sa petite TV personnelle des vues, des souvenirs, des sensations que l'on croyaient oubliés à tout jamais et qui resurgissent cahin-caha dans nos caboches alanguies. Je ne suis pas timbré à vrai dire mais la chaleur oblige le paysan à la station couchée.
Les matins lumineux suffisent à la peine quotidienne au champ dont l'herbe jaune froissée crisse sous le pas. Le mi-temps des journées s'écoulent à l'ombre. C'est un minimum de sagesse. Il faudrait être drôlement timbré et narcissique pour aller jogger, pédaler, piocher...
Ainsi le corps affalé à l'abri des larges murs séculaires du mas, sans écran à portée, la pensée part battre la nature sans souci de surchauffe. Bien que peu nostalgique dans l'ensemble me revint l'autre jour en mémoire une passion enfantine que j'exerçais avec zèle dans ma prime jeunesse. La collection de timbres.
J'ai fait cela, quelques années et c'était simple. C'était doux. C'était poétique et donnait l'occasion à l'esprit de partir n'importe où, d'imaginer, de s'extraire, de croître.
Un timbre c’est un petit voyage, une rêverie, une évocation, un exotisme collé
dans l’angle de enveloppe. Je suis nostalgique du temps lointain de notre enfance
où il était collé artisanalement à l’authentique salive. Tout se perd ma bonne dame !
Concentration à but imaginatif la collection de timbres aujourd'hui désuète nous fit découvrir la culture à l'instar de la dernière page au dos du Larousse pavée de drapeaux. Des pays vers lesquels nous voguions en imagination. C'était l'époque où nous apprenions la géographie sur les plaques des voitures considérant le subjectif et l'imaginaire comme réalités tangibles et palpables en embrassant la vie..
Classés par pays la France augurait déjà de ma passion pour son terroir. Nos voisins européens avaient malgré tout à mon goût saveurs d'ailleurs, de provinces inconnues, de pays merveilleux et les ribambelles de paysages, de monuments, d'événements et de personnages résonnaient comme une diversité qu'on avait soif de découvrir. Plus loin encore les continents, les antipodes donnaient une idée merveilleuse du vaste monde en pointillés.
Une encyclopédie à l'angle du message. J'épiais d'un œil savant le courrier de l'entreprise familiale à la découverte de quelques secrets qu'il fallait décoller soigneusement. Et puis il y avait, chez le marchand philatéliste, les plaquettes aux timbres ostentatoires, clinquants et prétentieux, qui sentaient un peu le faux mais qui venaient orner l’album de pays inconnus dont j'ignorais même l'existence. L'un de mes frères alors, rentrant de voyage de noces me rapporta des pays de l'Est tout une collection hétéroclite de cachets étonnants; ce fut le paroxysme de sa fraternité.
Cette époque des années soixante-dix ne connaissait encore pas l'invasion des écrans qui rendent l'intelligence bête et tuent la créativité. Comme pour mater le rêve.
Bien plus tard nous décidâmes avec ma belle que point de télé occuperait la place centrale de notre foyer. Que cet instrument intrusif n’aliénerait pas nos têtes rebelles et encore moins celles de nos futurs enfants. Du coup nous en eûmes trois en deux ans et demi. Nous étions radicaux. La souplesse arrivera avec le temps. Un peu timbrés mais heureux bien que j'avais depuis longtemps abandonné ma collection. Que cela soit dit, chez nous, les censeurs ne censureront pas au travers de cet étrange objet lumineux.
Et dans le fond, au diable la TV pourvu qu’on est l’ivresse du goût des autres, de l’amitié, de la rencontre, de l échange, du réel, du quotidien. Le goût d’une chanson dans le vent, d’un accord déglingué, de la beauté du monde. Vous voudriez ensuite que nous nous contentions cher censeur, d’une pseudo réalité, mièvre, insipide, trafiqué à l’envi afin de nous rendre plus terne et nous retirer l’envie de faire... il faudrait être fou pour continuer. Il faudrait être fou pour arrêter de vivre, d’être, d'entreprendre, si jeune en plus.
Et nous, nous étions seulement timbrés. Ce qui, à réflexion, est déjà pas mal en entame de l'age adulte et, comme le con de la chanson le timbré évolue mais vers sa liberté qui fait parfois froid dans le dos au premier susnommé.
Avec le temps revient l'écran inéluctablement et il est vrai que les vignerons que nous sommes devenus ont mis de l'eau dans le vin de leurs rigueurs sans toutefois tombés dans l’excès inexcusable de la potomanie. Loin s'en faut !
Les timbres ça donne le temps de penser, peut-être plus que la lecture, en tout cas différemment, ça assagit, ça fait rentrer à l’intérieur, explorer. Ça évoque sans trop orienter et c'est paisible. C'est un peu le pendant de la parole, le yan du blabla intempestif comme si la voix allait briser le charme de l'instant solitaire.
Les mots viennent habiller la pensée et parfois l’anticipe ou la précipite en logorrhée mal contrôlée. La pensée doit respirer, regarder bien en face le sentiment qui l’a fait poindre avant de se muer en mots. Alors il faut apprendre à lire l’implicite et développer le sens aigu du goût de l’autre, des sentiments et du bonheur.
C'est un peu tout cela la collection de timbres. La chaleur fait revenir à l'esprit le temps d'avant, des leçons de choses, de l'école primaire où je regardais tomber les feuilles des platanes et des courses en carlingues dont les freins faisaient défaut. Les quartiers urbains ressemblaient à des villages. Tout un contexte, un équilibre à mes yeux écarquillés qui découvraient le monde dans un quartier du vieux Béziers.
Les nuits d'été enrôlent l'esprit vers des nimbes plus profondes alors que les siestes légères déroulent l’album des souvenirs et je dis oui avec le cœur.
Je dois être en vérité un peu timbré, ma belle aussi et c'est un bien. A moins que ce ne soit la chaleur qui dilate dans nos têtes les quelques neurones de la raison qui surnagent dans un bocal de rêveries. Il faudrait demander à un neurologue son expertise mais lorsqu'on en croise un au hasard du chemin, on ouvre une bouteille, on digresse, on divague puis il oubli la question, redevient carabin et nous laisse dans l'ignorance. Mieux vaut ne pas savoir et rester timbré pour l’éternité. C'est une chance de salut.