Crédit photos : Charlotte Dubois, Christine Isarn.
C'est bon et beau à la fois. Ici il y a la table, la terrasse et en son extrémité un escalier qui descend au jardin. Nous y avons des tubercules heureux, des salades radieuses, ça resplendit du bulbe. Les rangées mal alignées parsemées de fleurs donnent une diversité heureuse, une joyeuse cohabitation, loin du tumulte, engageant l'esprit, dès que l'on y entre, à s'évader, à échafauder... La campagne quoi !
A Cadablès le jardinier est une jardinière. Désormais de la veille école je conjugue trop souvent à la troisième personne du masculin en ne trempant jamais ma plume dans le fiel. J’ évite ce son brutal du '' iel '' qui musicalement heurte bien trop l'oreille pour s'y habituer en aussi peu de temps.
Le potager c'est un coin de magie à longue vue qui refait le moral. Un axe de recentrage à l'instar de la vigne. Peut être en plus divers, en tout cas moins monotone car plus petit, moins besogneux.
Et l'esprit de se laisser aller au rythme du binage, à la courbe du cerclage. La pioche aux abdos, la grelinette au biceps, le rabassier occitan aux triceps poussent l'esprit, avec un peu d’entraînement, vers de délicieuses nimbes. Sous les douces injections du jardinier naît ainsi une biodiversité abondante et distrayante. Une coccinelle, un trio d'escargots, des vers, des insectes inconnus, des larves gluantes, parfois des taupes ennemies dans ce monde à la mesure de l'homme. C'est un monde ordonné, cyclique, humble et raffiné malgré ses faux airs renfrognés. C'est un monde immuable, enfin, elle et moi nous l' espérons.
Il y a un esprit dans la terre qu’il faut aller chercher doucement, sans froisser, en toquant à la porte pudiquement car cet esprit a tant à nous apprendre, à nous transmettre. Au jardin il se passe tant de choses invisibles, c'est le vestibule des nuages où le rythme lent apprend la patience, fait découvrir la beauté, chasse le gris en ravivant le vert.
Ici, nous cultivons au rythme des saisons une belle partie de notre consommation annuelle et, entre initiés on échange, on troque, on donne, on se donne l'air avantageux de ceux qui d'une graine font pousser un légume. Ceci évidemment loin de la vénalité du marché car il est hors de question de pratiquer professionnellement de peur qu'un grain de sable n'enraye la savante mécanique. Le potager c'est un peu ésotérique dans le fond, c'est un cercle, un monde, une sorte de repli auquel on se pique régulièrement et que l'on garde un peu blotti de peur que le monde extérieur n'envahisse le jeu pour le détériorer.
Forme de bonheur simple à la portée de tous, retour à la raison, à la maison, une forme d'essentiel apparaît dans ses allées à la re-découverte de nos étonnements enfantins. Et un radis devient un absolu, une tomate une œuvre d'art, un choux un mastodonte, une salade de l’énergie...
Le substrat amendé régulièrement est donc vivant et par sa complexité grouillante transmet son énergie à la plante qui l'offrira à l'assiette. Et la boucle sera bouclée. Il devient ainsi richesse absolu de vitalité et de santé, immunité indéniable et incomparable face aux agressions de toutes sortes, de tous horizons.
Équilibré par sa diversité, par son abondance nul n'est besoin de chimie pour sa survie. Microcosme naturel où l'un chasse le parasite de l'autre dans une auto protection sensationnelle, presque irrationnelle. Miroir inversé de nos sociétés bousculées qui pansent leurs déséquilibres à grand coup de molécules pseudo salvatrices dans une fuite en avant anxiogène et suicidaire. Mais pourquoi nos savants ne regardent ils pas le potager ? Professeur émérite diplômé en équilibre depuis la nuit des temps, diplômé en harmonie visible et invisible. C'est la sagesse incarné, la générosité absolu, le placement fabuleux.
L’épouvantail bienveillant essaie bien d'épouvanter les oiseaux qui se perchent sur son bras désarticulé. Bouts de bois habillés d'oripeaux et coiffés d'un pot de terre cuite pour donner au tableau une allure artistique et éclairer le visage du visiteur d'un sourire complice. Le pluviomètre lorsqu'il n'est pas troué donne un espoir à chaque millimètre et lorsque l'été le rend aride le son de la fontaine réanime le jardin.
C'est simple, enthousiasmant et ça fait mal au dos les premiers temps mais du bien à la tête.
C'est l'Homme, au milieu de son monde, qui entend couler l'eau, regarde passer un vol d' oiseaux, s’assoit sur le banc, se roule une clope, lâche un vent, pense à tout et à rien, regarde se coucher le soleil sur un bouquet de thym, respire et c'est immense...
Et puis y'a les copains qui passent par là, au hasard d'un chemin, on sort le vin du puits et les mots fusent. Parfois un peu crâneurs pour éviter les profondeurs, mais l'on revient à chaque fois au vivant, à l'humus et insidieusement on glisse sur des sujets moins profanes, on se confie, sorte d'église à ciel ouvert, à cœur ouvert avec pour seule loi celle de la nature. C'est un morceau de paix au détour d'un chemin où la gargouille couvre pudiquement l'intimité près d'un banc en rondins.
Ce jardin est délimité par des piquets bancals, de vieux roseaux séchés qui y marquent les rangées. Des outils disparates, des cageots alignés, des bouts de tuyaux craquelés au soleil, une touffe d'herbe marquant la fuite d'eau, des rouleaux multicolores de ficelles en tissus, tout un fatras hétéroclite d'outils en tout genre jonchent les allées. La serre aux vitres opaques, la porte coincée par un caillou, car ici point de voleur. C'est un grenier au grand air sonorisé par les cigales de l'été. En jachère, envahi par les poules ou le crottin de l’âne et le compost végétal, les légumes promettent des goûts égarés par le productivisme mono-cultural. Il deviendra aussi conservatoire gustatif pour des générations handicapés de la papille.
Le potager c'est une sensibilité, un partage, une aventure, une culture désuète, une thérapie, un essentiel. C'est un tableau, un chef d’œuvre où l'artiste est modeste produisant pour les siens l'essentiel, la richesse, l'abondance : et il l'offre, c'est un roi !