Et voilà que l’on se remémore le temps passé. Désormais que les choses posées nous donne le loisir d’un repos relatif ont deviendraient parfois nostalgiques aux souvenirs du temps de l’action de notre installation. Entre deux verres on évoquent parfois les trous de souris dans lesquels il a fallu passer pour arriver au vin. Les méandres, les labyrinthes desquels il a fallu s’extraire. La nostalgie est un pays où il ne faut pas trop voguer mais les soirées pluvieuses invitent aux retours et la mémoire aidée par le vin rouge part en goguette pour rassurer l’avenir. Et voilà que pointe l’idée de vous le partager et ma plume fourmille de vous parler à la fois, de ce temps si proche, et d’un plus lointain car les pierres ont le souvenir d’avant notre existence.
A notre arrivée la cave n’était que poussière et baillait aux mauvais vents, la porte défoncé, le toit en partie effondré quelques années plus tôt avait été démonté par sécurité. Sur le parvis un fossé longeait le mur des bâtiments et un véhicule hors d'âge, abandonné là en souvenir d’un temps actif, finissait de rouiller. Lui faisant face un vieil aramon édenté parsemait un champ d’un demi-hectare tandis qu’un sapin immense se frottait dangereusement à l’angle de la façade.. Tout était à refaire et les premières années l’espace servait de débarras et de remise.
Ce n’est que lorsque nos ambitions vigneronnes surgirent que nous nous occupâmes de restructurer l’endroit. Comme souvent, ne sachant pas par où commencer, un grand nettoyage fut de rigueur pour éclaircir nos idées qui commençaient à se bousculer. Le tacot gris prit le chemin de la ferraille tandis que le fossé fut rebouché, l’arbre abattu et la vigne clairsemée de pieds, arraché.
La future cave compterait environ 150 mètres-carrés et l’extérieur en contiguë donnait une perspective propice. Il nous a fallu quelques mois afin de redonner au site une allure plus avenante. Reposer un toit, couler une épaisse dalle, construire un parvis dallé orné d’une fontaine, créer un réseau électrique et s’équiper du matériel idoine afin de commencer les vinifications. Avec le recul on se demande souvent comment l’on a pu faire tant l’état de départ était dantesque mais l’énergie de l’entreprise chaussait les bottes de sept lieues et poussait aux impossibles défis. Et c’est ainsi qu’en s’y mettant à tous, pierre après pierre nous avons pu, dès septembre recevoir une récolte en cave. Nous ne le savions pas, mais nos garçons toujours prompts à l’ouvrage, balbutiaient là leurs ambitions futures en se formant sur le terrain. Mon dieu que nous avons étaient inspirés de faire trois gaillards dont l’énergie considérable était adoucie par la candeur de leur petite sœur. Et les neveux, les beaux frères et les amis toujours enclins aux coups de main ont fini de parfaire le chantier afin ne pas louper le jour d’arrivée des premières grappes.
La première vinification fut une fête immense, une émotion sans bornes, un débordement d’énergie car l’on refaisait du vin à cadablès. C’était pour nous un miracle, une bénédiction et l’effort était fourni sans que l’on s’en rendent vraiment compte. Dans une cave,on sort lorsque le travail est fini, pas avant, qu’importe l’heure et son intensité. C’est la loi ! Et le lendemain on recommence… Et les jours se suivent et le vin se fait. Doucement, geste après geste. Patiemment. Le vin est une persévérance où il faut tantôt accélérer dans un jaillissement, tantôt ralentir vers une réflexion et l’esprit envahi d’interrogations jubile parfois d’une effluve éphémère, d’un vortex harmonieux, d’un moment hors du temps.
L’archéologie de la cave lors des travaux de terrassement a découvert des cuves souterraines pavés de carreaux en cramiques verts et jaunes. Une auge en pouzzolane trouée de simples tuyaux en terre cuite qui devait servir au temps passé à déverser l’huile d’olive vers les cuves. Il n’est pas aisé de savoir ce qu’il s’est vraiment passé. A glaner des informations ici où là par des rencontres, des découvertes, des observations, des archives, des lectures on reconstitue un passé pittoresque, glorieux ou plus modeste à l’aune d’images jaunies réelles ou fantasmées . Les ans sont témoins d’un travail titanesque. Les murs en pierre montés patiemment pour étager les cultures, une surface de bâti de plus de mille mètres carrés où se joignent habitats et bâtiments d’exploitation. Édifice séculaire modelé au fil du temps et des besoins. A l’origine, apparemment toute fin quinzième, un four à pain a vu le jour ceint d’une voûte renforcée d’un contrefort. Les siècles suivants ont sans doute construit le reste des bâtiments en fonction des aléas et des opportunités de l’époque. La cave actuelle a un profil dix-neuvième alors que le chai à barrique, en partie sous terre, laisse apparaître la roche mère suintante sur laquelle a été bâti l’autre partie du mas. Par endroit les bâtiments ont été rehaussés et s’y trouvent encore des rives à l’endroit du toit originel. D’autres parties ont été purement supprimées et l’on est tombé nez à nez en construisant un salon sur des voûtes souterraines qui laissaient présager d’une bergerie en-deçà de la cour principale. Avant de reboucher nous avons scruté frontales au front, gratté, déblayé mais rien ne soufflait et le secret espoir d’y trouver un souterrain, un trésor qui eut été bien pratique pour avancer nos travaux tomba à l’eau et noya nos espérances.
Cadablès était un hameau. La construction d’un seul tenant, à l’architecture alambiquée, abritait plusieurs familles et les corps annexes plus modernes attestent d’un développement économique. Évolution sans doute en corrélation avec l’arrivée du chemin de fer qui accentua la spécialisation dans la culture de la vigne et de l’olivier. L’autarcie s’est perdue peu à peu à l’ouverture des horizons. En ces temps d’évolution il fallait s’ouvrir, nécessairement. En nos temps trop ouverts où déboule parfois l’équivoque ne doit-on pas au regard du passé se recroqueviller sur nos postures afin d’affirmer une autre façon d’exister, réinventer un équilibre ?
Questions existentielles en pensant au passé d’où l’on revient ragaillardis par le souffle des siècles qui nous ont précédés. Ici les pierres parlent et nous disent que l’on est qu’un maillon. Et la soirée avançant, calme et serein, on finit la bouteille.