Il y a tout juste un an je me lançais dans l'écriture de nos pérégrinations viticoles pour raconter notre changement de vie assez radical de la Corse à Cadablès. Un premier texte: " les potiers de Portigiolo" devait être suivit de celui-ci, puis d'autres encore devaient voir le jour sous ma plume enjouée.
Seulement 2020 coupa court, pour les raisons que vous imaginez, en m'absorbant par ailleurs. Cette trêve des confiseurs me laissant un peu de répit , je reprends l'aventure où je l'avais laissée il y a quelques mois.
- Premier mouvement : '' O corse, ile d'amour, les potiers de Portigliolo ''. http://domaine-de-cadables.over-blog.fr/2020/01/o-corse-ile-d-amour-les-potiers-de-portigliolo.html
- Second acte : De la corse à Cadablès, il y a une mer.
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Décembre 2003. J'étais assis ce soir là au bord de la terrasse. La nuit venait de tomber . De là s'étalait devant mes yeux le paysage que nous allions quitter. J'étais assis devant l'inconnu, peut être au bord d'un gouffre que nous avions décidé de sauter. Au premier plan le jardin, puis le maquis jusqu'à la plage, la mer. Plus haut, la tour génoise éclairé par la lune donnait du mystère à l'avenir.
Ici rive sud du golfe d'Ajaccio , les débuts, voilà dix ans, avaient été épiques. Le succès venu, un ronronnement dans un certain vrombissement créatif avait finit par l'emporter et la vie passait paisible.
Mais voilà, l'esprit d'aventure que nous avions mis en demi-sommeil , retoqué à l'entrée de nos consciences en cours de ramollissement. De rêveries en projets plus construits nous décidâmes de repartir à la conquête du continent vers un avenir qui nous semblait alors plus opportun et plus ouvert. Et puis un tas de motivations plus ou moins loufoques, plus ou moins légitimes nous taraudaient. L'envie d'aller voir ailleurs , l'envie de relancer de grands projets La peur de tomber dans un ennui bourgeois qui ne nous nourrirait plus. La peur de ne plus exister à nos propres yeux.
L'année avait été remplie d'illusions et de désillusions authentiques, pleine de rebondissements et l’ascenseur émotionnel en montagne russe animait notre maison à la prou de notre ambition. La vie vrombissait de toute part et nous préparait à l'autre rive sans que nous le sachions vraiment et les croches pattes étaient, dés lors , des échecs rutilants que nous affrontions pour mieux nous relever et repartir à la poursuite de notre dessein.
Décembre 2002: Le château dont nous nous portions acquéreur auprès du Conseil Départemental tomba aux oubliettes le jour où je le visitai car trop éloigné à mon goût de la civilisation et la forêt l'entourant de déclencher en moi une irréversible aversion. Nous avions avant la visite convaincu les politiques, les techniciens à travers un dossier rondement ficelé. Mais le jour J l'émotion tant attendue se fit attendre et nous décidâmes de concert d'abandonner la juteuse affaire.
Juste une affaire d'émotion, de cœur nous fit reculer après avoir rencontré le député tout dépité de ne pas nous voir foncer pour clôturer son dossier. Nous avancions à deux, depuis toujours et le cœur arraché, ma moitié accepta ma décision de ne pas vouloir aller nous perdre sur cette montagne rédhibitoire. Lorsque la raison s’affole l'irrationnel prend le relais et en toute humilité nous avons fini par penser que nous trouverions beaucoup mieux ailleurs car simplement, nous le valions bien. Je rappelle au lecteur assidu que nous n'avions pas encore 40 ans !
Et de retourner ce soir là, à vrai dire, un peu secoué partager un dernier repas avec mes chers beaux parents avant de reprendre le lendemain l'avion pour Ajaccio. La conversation, comme d'habitude à cette belle table, allait bon train et les projets jaillissaient déjà en cascade créative, en bonheurs échangés. Au détour d'une phrase mon beau-père me suggéra d'aller voir le domaine de Canteperdrix, des Suisses y avaient réalisé ce que nous recherchions. Mais il fallait attendre le prochain voyage planifié dans trois mois.
Et ce nom me colla à la peau : Canteperdrix ! Il revenait sans cesse à mon esprit comme une obsession, un leitmotiv récurent durant les trois mois qui nous séparaient de la visite. Je ne sais pourquoi ce revolving mémoriel alors que je travaillais, que je vaquais à ma vie quotidienne remontait à mon esprit.
Ainsi par un joyeux matin d'hiver, les enfants débarqués chez leurs grand-parents, me voilà parti à la rencontre amicale de l’obsessionnelle Canteperdrix. Je n'ai pu, ce jour , aller jusque-là, arrêté net quelques centaines de mètres avant. La vie venait de me faire le coup de la panne et au tournant du petit chemin gravillonné, je vis Cadablès ! Un choc esthétique, presque irréel. Une goutte de sueur apparut malgré le temps, tant l'émotion était palpable et je fit demi tour illico afin d'aller chercher ma muse car je venais de découvrir la propriété de nos fantasmes, le mas de nos rêves les plus fous et j'étais pourtant bien éveillé. A deux nous la contournâmes, nous l’analysâmes, nous la scrutâmes, nous l’envisageâmes même sans penser un instant au seul bémol : elle n'était pas à vendre !
Lorsque revenus au réalisme de notre entourage le bémol apparut, nous le chassions d'un revers de manche en déclarant : " Ce n'est pas grave, bientôt elle le sera et nous l’achèterons, on va se renseigner''.
Et nous nous renseignâmes en mettant tout le clan en action. Chez nous on fonctionne par clan branché sur un indéfectible wifi émotionnel et affectif. Nous ne sommes jamais seuls tant les fils d'argent de nos consciences et inconsciences nous relient à travers mer, plaines, bois et montagnes. Et un beau jour, comme il en existe tant, l'information rebondit des méandres familiaux jusqu'à la maison de bord de mer par l’entremise du téléphone .
- "votre propriété vient d’être vendue à un homme d'affaire, châtelain de surcroît, étranger au village et même à la région".
Un homme venu du Nord. Le syndrome Simon de Montfort nous traumatise encore dans le Bitterois. C'est dire. C'en était trop !
Nos sangs méditerranéens ne firent qu'un tour. Notre ire légitime se déversa sur la Safer Languedoc Roussillon chargée depuis quelques mois de nous trouver une propriété viticole pour une installation "jeunes agriculteurs". La Safer avait, pour nous, dérogé à sa tache et nous lui fîmes savoir, avec un langage fleuri, déversant notre émotion non retenue sur le bureau du directeur qui se défendit comme il le put en nous faisant patienter quelques jours pour vérification.
Les deux, trois jours furent un enfer avant d'apprendre, par un langage "Quai d'Orsay", que ce dossier n’était pas encore arrivé en Safer et que par conséquent la vente n'était pas abouti et que seul le premier acte était signé.
C'est alors, car rien en ces temps d'ambition ne nous arrêtait, que nous concluames tout bonnement, qu'il fallait démarrer une procédure de préemption afin de chasser hors les murs l'envahisseur outrecuidant.
Ceci fut dit en terme plus prudent à Monsieur le Directeur qui nous noya dans des terminologies complexes et nous compriment instinctivement que nous devions passer en haute sensibilité politique en abandonnant nos postures cavalières et fonceuses.
Nous dûmes nous adapter à un monde que nous ne connaissions pas mais nous avions à cette époque en réserve , des ressources incroyables, une belle part de chance mais aussi et sans le savoir des relations et des influences haut placées, très hauts placées. Lorsque l'ambition est belle et légitime l'énergie converge et les choses se font, se décident par hasards interposés comme si celui-ci n'en était pas vraiment un. Une impression que tout l'univers pousse dans le sens de l’énergie que l'on émet.
Et le parcours du combattant débuta car tout se mérite après tout. Et les obstacles apparurent les uns après les autres. Et nous les combattions avec fougue , avec les l'aide des uns, l'appui des autres et se déroulait devant nous un tapis suivi inéluctablement d'un Himalaya que nous devions re- escalader sans nous désespérer.
Et ce soir de décembre 2003 j'étais assis sur le bord de la terrasse à contempler ce que nous laissions alors que le dossier de préemption était loin d’être clos.
Seulement la maison de la cote était vendue, les cartons préparés laissant au logis le strict minimum du quotidien de ces dernières fêtes Corses. Le téléphone sonna alors que la rentrée de janvier prévue sur le continent pour les marmots déjà pré-ados et le conteneur réservé pour les premiers jours de 2004 étaient bouclés. En décrochant une voix féminine suave et sans âme, un peu gênée, m’annonce tout de go que la compagnie maritime de conteneur, suite à un accord avec le syndicat des travailleurs corses, ne ferait plus de prestations à partir du premier janvier. Plus de conteneur. Les cartons, les meubles et le matos de l'atelier de céramique rangés militairement dans l’attente du transporteur nous poussait à trouver une solution de rechange, en un temps record durant les fêtes de fin d'année en Corse du Sud.
In fine c'est en camion de location surchargé que nous effectuâmes les rotations durant deux week-ends après avoir embarqué notre marmaille dans le vol hebdomadaire pour Montpellier via leurs grand-parents. Les amis étaient là donnant leurs bras au chargement, leur énergie à l'amitié.
De potiers en Corse à vignerons en Languedoc il avait une mer à franchir. Nous venions de le faire mais Cadablès n’était pas encore à notre disposition tant les embûches juridiques, les ralentissements administratifs, les velléités locales enfonçaient dans nos roues les bâtons du désaccord.
La tension fut telle que nous ne pouvions visiter les lieux alors que nous avions versé une somme substantielle afin de s'assurer la continuité du dossier auprès de ces messieurs qui espéraient nous voir reculer afin d'éluder un dossier trop encombrant. Signer un contrat d'achat sans visiter nous paraissait une formalité tant nos cœurs battaient à l'unisson du lieu que nous admirions discrètement, sans nous montrer, à travers bois ou de la route.
Et nous foncions abandonnant assez souvent le langage policé de la compromission pour hurler celui de notre vérité. Il ne pouvait pas en être autrement et aucune alternative n'était plausible à nos yeux écarquillés. C'est en octobre de la même année que le contrat définitif fut scellé alors que nous avions dés avril, envahi les lieux pour y camper, cultiver la vigne et même commencer des travaux tout à fait illégalement au prétexte que la nature ne pouvait attendre.
Quatre tentes plantées dans la garrigue, deux vignerons en herbe, trois collégiens, une enfant bredouillant ses premiers pas et tout le clan nous soutenant pour entamer une aventure afin de porter nos enchantements au pinacle de la réussite.
C'est une histoire d’acharnement dans le fond, d'envie plus que de raison, d'insouciance idéaliste avec la fantaisie de vouloir imprimer dans le réel ce que nous avions dans l'esprit. Le campement dura quatre mois. les orages du soir, les oiseaux du matin que nous entendions à travers la fine toile, les repas sur la veille table de ping-pong, la cuisine précaire installé dans une grange éculée, la palette de livraison et le tuyau à la pression instable pour une douche de fortune n'ont pas entamé notre détermination vers la concrétisation du projet.
Les débuts sont toujours porteur d’énergie et la chance du débutant sourit aux ambitieux. Mais c'est ensuite, avec les années que l'on apprend la détermination du marin, que l'on comprend ce qui forge, que l'on sent le cap à tenir malgré les tempêtes. Et il y en eut durant 10 ans !
Cadablès 30 ha de terres, vignes, landes, bois, oliviers, champs, 1 200 mètres carrés de bâtiments, une vue époustouflante. Hormis la vue tout était à restructurer, à revisiter, à retaper, à reconstruire... Une folie, il faudrait plusieurs vies.
Nous allions devoir nous retrousser les manches plus que sérieusement car le défi était impossible mais nous ne le savions pas, trop occupés à avancer.
Installés in situ en forçant le destin dés avril, nos premières vendanges de néophytes en septembre 2004 concluaient une étape essentielle vers le vin.
Vint ensuite l'apprentissage de la terre. L'apprentissage du milieu, de l'humain, de l'environnement et de ces milliers de petites choses qui ne se disent pas, qui se sentent seulement.
Mais ici les pierres respirent et Bacchus veille. Heureusement !