Vœux de comptoir.
Depuis belle lurette les bars de villages animent la vie de notre cher milieu rural. Pont d’ancrage villageois beaucoup y passent, d’autres l’ignore comme s’il n’était pas convenable d’y être surpris.
Au bar du village recroquevillés en cet hiver à peine piquant les gens se réunissent, se parlent, s’interpellent dans une joie toute languedocienne. On vient y prendre des nouvelles, en donner autour d’un verre.
Au zinc du village les discussions tonitruantes vont toujours bon train et les solutions à l’odeur d’anis arrivent comme s’il en pleuvait. Et qui de critiquer les uns, et qui d’absoudre les autres en se moquant de leur posture pour finir par se réconcilier en tapant sur les élus qui n’en demandaient pas tant. C’est un petit jeu expiatoire et les huiles, toujours un peu coulantes, font la sourde oreille en faisant oublier leurs propres dérapages. In fine dans les bars seule à changé la déco et l’odeur des gitanes a été chassé au dehors. L’ambiance plus respirable y est toujours réconfortante, l’on vient y boire un verre, tester son taux d’intégration, tendre une oreille distraite, commenter les faits locaux et se délayer allégrement le gosier pour vaporiser l’esprit. C’est un passage un peu obligé et tous s’y mélangeons pour brasser superficiellement les cultures, les idées, refaire le monde qui en a bien besoin ou se refaire la cerise de la solitude de la taille.
On boit, on mange, on rit l’air sérieux pour les notables, plus décomplexé pour les lambda, on s’apostrophe comme si l’on ne s’était vu depuis un siècle… Chacun joue sa propre pièce. Désormais au grand bonheur du tenancier le lieu devenu polyglotte a intégré, même l’hiver, une foultitude de nationalités et l’on y parle le français avec accent, comme nous, mais en différent. Le sud est une terre d’intégration et les gens biens y ont toujours leur place. C’est vrai, il faut bien l’avouer, on les critiquent un peu de temps à autre car après le ‘’ruby’’, c’est le deuxième sport national, peut-être même avant la pétanque et les gens qui ont bon cœur comprennent bien qu’au bar, le local a besoin de se surestimer. Alors ils ne relèvent pas et deviennent des nôtres, même les parisiens qui ont tout inventé.
Durant la saison l’ambiance s’étale jusque sur la terrasse et l’on gagne en perspective ce que l’on perd en intimité. La vie locale sourde tout l’hiver pour mieux rejaillir aux beaux jours.
Au printemps les terrasses s’animent d’accents toniques, les robes plus légères annonciatrices de chaleur aiguisent les regards lorsque la sève des vignes pousse les premières feuilles. Les tracteurs vont bientôt ronronner et les discussions sur la future récolte animeront l’estaminet jusqu’à vendange. Les vignerons y racontent les vignes, les artisans les chantiers, les étrangers leur contrée, les retraités le bon vieux temps, les touristes y flattent le pays. Les événements locaux passés au crible de la plèbe peuvent ici devenir légende en un tournemain ou bien pétard mouillé.
Les jours d’élections une pudeur discrète anime le lieux. Chacun un café à la main, dans ses petits souliers, préfère les discussions météorologiques aux envolées prosélytes trop engagées. Il n’est pas de bon ton d’afficher ici ses convictions. Quelques cadors, qui savent tout sur tout, viennent toutefois dépouiller leur intuition à haute voix sans pour autant passionner leur auditoire qui plonge instamment son nez dans un bock de bière, dans le Midi libre ou passe la porte fumer une tige.
Les bars, il en existe de toutes sortes. Le traditionnel, la mine patibulaire, un peu réac à tendance à perdre du terrain ces dernières années. L’initié venait trop y inscrire sa supériorité. Le formica glacé a du mal à survivre chassé dehors par la chaleur d’une déco bohème. Remplacé au fil du temps par des cafés conviviaux, plus ouverts sur la mixité, il traîne la patte d’un passé qui a du mal à se réinventer. Désormais c’est dans l’échange chaleureux que le troquet monte ses gammes sur un air de rassemblement général. Tous y avons notre place et l’endroit retrouve l’essence même de sa propre vocation : la rencontre superficielle. Les vertus de la modernité et des étrangers y ont apporté une gamme de bière conséquente et, lorsque le patron n’est pas complètement bouché, un choix de vins qui sortent de l’ordinaire faute de venir de la grande surface voisine.
Pierre angulaire du système, le boss anime d’un doigté savant l’endroit où certains viennent se mettre à l’envers. Et pour le bon fonctionnement de sa boutique il doit user non seulement de psychologie de base mais trouver l’équilibre entre le sérieux que requiert sa tâche et la convivialité d’usage. Le bistrotier pingre étant très mal venu, le roublard insupportable, le ‘’ je-me-mêle-de-tout’’ imbuvable, le fier à bras incontrôlable et le ‘’j’ai-tout-inventé’’ rédhibitoire. Tout un talent que le tenancier doit posséder pour ne pas être dépassé par les débordements hilares d’un public parfois désinhibé. Le talent n’est pas donné à tous et l’étrange cocktail de la politique et de la prétention vide à coup sur les lieux. Et lorsque le patron et une patronne l’on s’essuie poliment les pieds sur le paillasson en laissant dehors les persiflages pourvoyeurs de guerres intestines.
Dans la gamme des établissements à la pointe du progrès on en voit dédiés au bio. Les mêmes que dans la grande ville mais pas du tout hautain ni légèrement condescendant. A la fois conviviaux, chaleureux et humanistes, la musique discrète fait pétiller dans leurs verres des vins iconoclastes et les soirées s’y étendent à la bonne franquette de toute une humanité. Au-dessus du panier de crabes, ils ouvrent des perspectives une fois franchit leur porte.
Le local a d’indéniables vertus à développer de toute urgence pour que s’épanouisse le sens et le goût de l’autre et nos petits entrepreneurs mixologues y travaillent ardemment. A nous de faire un pas vers eux afin de découvrir ce monde qu’ils ont à nous offrir. Le premier pas, comme tous les premiers pas, est souvent hésitant mais les bras s’ouvrent facilement autour d’un verre.
Ce petit laïus jubilatoire en forme de vœu pour l’an qui naît car notre bon vouloir excite la vie quotidienne. S’ouvrir à l’autre, à la rencontre, à la surprise, à l’à-côté pour déceler l’extraordinaire pouvoir qui germe en chacun d’entre-nous. Ça a déjà la vertu de ne pas polluer et évite d’être groggy par le jetlag. Voyage mensuel, hebdomadaire ou quotidien à seulement un jet de pierre de son seuil.
Souhaitons-nous des rires et des chants, de la joie, du bonheur d’être ensemble, du local avec qui vient les solutions. Souhaitons-nous de la simplicité au banquet de la vie. Et puis, et puis et puis….
Santé !