Les vendanges ne se passent jamais comme on les imagine. Juste avant lorsque l’on lustre, l’on brique, l’on prélève l’envie d’en découdre pour clôturer l’année nous pousse à visualiser une rentrée de la récolte instantanée afin de réduire les risques d’aléas. A l'extérieur, nos raisins sont toujours la proie aux caprices des cieux. Cela ne se passe jamais ainsi et tout particulièrement cette année qui a découpé la récolte en deux parties bien distinctes car les maturités réclament encore un peu de temps sur les derniers cépages. De toute façon la main qui guide nos récoltes va au pas lent de la nature. Surtout ne rien préjuger et ne pas imposer ses désirs au long processus de maturation. La décision ne nous appartient qu’en partie.
Nous sommes à mi-côte mi septembre et les nuits fraîches, le temps clément nous encourage à l’attente pour affiner.
Cette année la cueillette froisse moins les dos et nous épargne un stress supplémentaire en cave où le bruissement des fermentations et le suivi des cuves est relativement dilettante. Tout se passe bien et c’est un bonheur de sentir tôt le matin, au sortir de l’escalier en colimaçon qui rejoint la cave, les fines effluves qui touchent les narines dilatées du vigneron tous sens ouvert. L’on fait du vin avec les mains, le regard, le nez, les tripes, la raison et le cœur. Savant mélange d’expériences, d’empirisme, de techniques, d’intuitions pour tenter de donner à la récolte sa spécificité.
Septembre majeur est un bonheur où l’on se sent en vie comme jamais. A bien y réfléchir, ce métier nous ne le faisons qu’une fois par an. Septembre est l’aboutissement dans un éclat de joie de l’année de travail et il doit rester sacré comme la magie d’un lever de soleil qui perce les nuages. Il doit rester gai et convivial comme une habitude à perpétuité pour réunir les hommes dans la palabre de la vigne. Il doit rester mystérieux dans le silence du chai.
Un geste après l’autre le vin pousse à l’instant, au présent et s'efface durant ce mois précieux le passé et le futur. Moment hors du temps sourires ou grimaces aux lèvres nous œuvrons à notre vocation de la vigne à la cave.
Nos raisins ramassés à la main pour éviter les détériorations, triés sur le tapis roulant avant d’être foulés puis, enfouies dans la cuve seront scrutés durant deux à trois semaines avant l’ultime passage au pressoir. C’est tout simple dans un processus complexe de fermentation suivi à la loupe où le vigneron guide, observe, sent, prophétise parfois afin que ses jus ne se transforment en malheur. Oh combien de questions passent-elles dans nos têtes ces journées et ces nuits décisives ? La culture et la vinification biologiques ne s’autorisant que des méthodes douces, nos nuits sont parfois jalonnées de coupures sur le pont du navire. Les convictions, les passions et l’adrénaline redressent nos postures et nous poussent durant un mois d’une énergie retrouvée après l’été torride.
L’aboutissement d’une année à la vigne lorsque la cave ouvre ses portes en grand pour recevoir le raisin frais est un peu notre Saint-Sylvestre. Auréolé d’un millésime supplémentaire, le vigneron va devoir l’élever dans le mystère du sous-sol en prenant garde de laisser le temps patiner les aspérités pour arrondir la vivacité sans toutefois toucher au caractère. Un peu comme un tableau lorsque l’on doit prendre du recul, souligner, effacer, laisser la main aller s’inspirer d'elle-même. Un peu comme un enfant, plus tard comme un ado lorsque les vins deviennent boutonneux il faut garder confiance en l’avenir. Ce métier est un risque que la chimie abroge en partie mais nous la refusons, que la technologie veut contrôler là où il faut du lâcher-prise pour sublimer le risque…
Ce métier a sa période de fête qu’il ne faut pas dénaturer. Rendons grâce à Bacchus au plus haut de l’Olympe de pouvoir pérenniser ces instants d’éternité et les mettre ensuite en bouteilles pour les faire voyager, les faire partir à la rencontre des humains et des fraternités.
Quel beau métier. Et dire qu’il nous a choisi !